Vous avez sûrement déjà ouï dire que l’homme cherche désespérément à retrouver le chemin d’un paradis qu’il aurait perdu. En admettant, d’un côté, qu’une telle assertion se soit avérée justifiable, de l’autre, deux questions fondamentales demeureraient encore pertinentes, savoir :

Quel pourrait être ce paradis et qu’impliquerait sa signification dans la véritable interprétation de la vie ?

Il convient avant tout de se mettre d’accord sur le fait que l’idée d’un paradis, tel que décrit dans le récit mythique de la Genèse, puisse évoquer d’emblée une utopie. Il se pourrait même que le jardin d’Éden soit avant tout un parfait concept d’inspiration, un merveilleux rêve ; une vision paradisiaque de la vie telle que nous devrions la vivre de pied ferme et l’expérimenter dans la réalité physique de notre quotidien, ici et maintenant.

Censément, le mot « Éden » (traduisant délices et plaisirs, en hébreu) remonte à loin, à la plus antique civilisation et a éventuellement tiré son étymologie d’un mot sumérien, « Edinn » ; et il se pourrait même que le dramaturge biblique, en transcrivant cette Cosmogonie, se soit représenté les verdures émeraudes et enchanteresses de la Mésopotamie. Ce qui évidemment éluciderait les nombreuses pénombres végétant autour de la question puisque, justement, les Babyloniens appelaient « Edenu » la terre verte luxuriante d’où émergeait l’eau. De nos jours, un mot comme « oasis » serait un terme bien apprécié pour dépeindre un tel endroit.

Quant aux tout premiers hommes, ceux-ci concevaient fréquemment la plus belle représentation de l’Au-delà en le jumelant avec l’image d’un paradis dont la figure emblématique courante était celle d’une végétation inouïe. Et donc, remontant à loin, au commencement de la Création, nous pourrions, dans un premier temps, assimiler ce paradis au mythe d’un Âge d’Or originel ; à savoir une ère d’ingénuité, de plénitude, d’abondance et de grande félicité que l’humanité aurait connue, dont elle serait issue et qu’elle devrait à tout prix redécouvrir.

Ensuite, dans la perspective d’une approche plus pragmatique, ce jardin des délices, ce « paradis perdu » dont il faudra aujourd’hui que l’homme retrouve nécessairement la trace, pourrait tout autant être le « Gân-Âeden », le même concept que celui crayonné dans la gnoséologie mystique du livre de la Genèse, c’est-à-dire un lieu excessivement confortable, selon la kabbale, d’où l’homme devait sortir au risque de ne jamais évoluer.

En d’autres termes, ce foyer enchanteur était un endroit bien trop délectable dans lequel l’homme ne pouvait vivre que disproportionnément eu égard à sa nature et ses attributs créateurs. Cela signifie que, de toute évidence, l’homme n’arriverait jamais à vivre en Eden, tel qu’échafaudé dans l’imaginaire de la plupart des gens, qu’oiseusement et inefficacement, dans des conditions psychologiques inertes et immarcescibles au sein desquelles il n’aurait pu manifester ni sa volonté, ni son libre arbitre, ni sa conscience individuelle.

Pourtant, autant irrécusable que le jour se lève, l’homme a été créé pour dominer et donc, destiné au départ à tomber des nues de son ciel. Car comment, en vertu de cette compréhension, l’homme aurait-il pu parvenir à affirmer son pouvoir créateur s’il devait vivre interminablement dans un train de vie aussi « idyllique » que le récit cosmogonique le décrivait ?

Or, être celui qui « domine » signifie de prime abord, être celui qui exerce une emprise qui l’emporte sur toutes formes intérieures ou extérieures hostiles. Ce qui revient à dire que le pouvoir de dominer, la faculté de juger et le libre arbitre ont été accordés à l’homme en vue de lui permettre de se maîtriser et se maintenir, indépendamment de toutes formes d’éventualités apparentes, dans l’état de perfection qui lui a été dévolu.

Ainsi, l’homme aurait été amené au départ à prendre conscience du pouvoir créateur qui emblave son esprit, assumer ensuite le fait qu’il ait été conçu pour vivre et se mouvoir en parfaite harmonie avec lui-même et avec les lois de la Nature pour finalement apprendre à contrôler ce pouvoir et le faire concourir à son propre bonheur et celui du monde qui l’entoure.

Dès lors, lorsqu’un homme cherche à conquérir sa peur, à vaincre sa lassitude ou à assujettir ses désirs, il cherche en fait à créer en lui-même la cohésion en y faisant régner un état de quiétude et une parfaite harmonie. Et c’est seulement de cette manière-là, et jamais autrement, que l’homme domine ; c’est en cela qu’il reflète la véritable image de son Créateur.

En conséquence, l’homme n’était point appelé à dominer sur le contenu de la Création, encore moins sur son semblable, mais sur lui-même. Car le bétail, les oiseaux du ciel et tous les animaux des champs auxquels l’homme donna des noms étaient en fait sa peur, ses doutes, ses fausses croyances, ses ressentiments, ses envies et sa jalousie qui n’étaient point extérieurs à lui et qu’il devait apprendre à maîtriser et les inverser, c’est-à-dire les faire adhérer à un état constant de béatitude et d’expériences favorables. (Voir Genèse 2, 20)

De cette façon, l’homme créé pour dominer signifie que celui-ci était appelé à se rendre maître de lui-même en faisant abstraction des conditions, des circonstances et des événements du monde physique. En d’autres termes, l’homme devait apprendre à se servir intelligemment de son esprit, et non à abuser sans vergogne de sa vigueur corporelle ou de ses émotions, en vue de conditionner le monde extérieur à sa guise.

Tout cela explique la raison pour laquelle ce paradis avait été décrit, par l’auteur hébreu, comme étant le « Monde de Dieu ». Cela revient à dire que ce jardin était un état d’esprit parfait, exempt d’alternance d’avers et de revers, de rires et pleurs, d’ennuis et de bonheur. Encore, faut-il intégrer le fait que l’homme ne saurait nullement arriver à faire valoir ses vertus créatrices dans un univers où il n’y avait pratiquement aucune forme d’opposition ni de besoin à assouvir.

Par conséquent, le jardin d’Éden, en guise d’un lieu qui a existé ou qui existe encore, géographiquement parlant, était plutôt l’état de conscience parfait, le berceau féerique dans lequel Dieu avait materné l’homme afin que celui-ci puisse surgir glorieusement et s’affirmer, non seulement en tant que « démiurge », c’est-à-dire cocréateur avec le Créateur Lui-même, mais également et surtout comme une étincelle Divine qui devait prendre activement part au devenir perpétuel de la création et à son propre destin.

De ce fait, Éden était l’échantillon impeccable, le modèle d’idéal et de perfection auquel l’homme devait aspirer et s’inspirer en vue de reproduire ici-bas une réalité identique à sa vie matérielle. Ce jardin était une hantise quasi indescriptible, une conception ineffable de la vie telle que l’homme devait continûment l’expérimenter dans le concret de sa vie quotidienne. Ce qui d’ailleurs a fait dire à l’auteur que ce paradis était le lieu de rencontre avec Dieu. Cela signifie que ce lieu spirituel (ou céleste, si vous préférez) était l’endroit où l’homme devait prendre conscience de son origine Divine ; l’école mentale où il apprenait à faire les premiers pas vers lui-même et à acquérir, dans l’ordre divin des choses, une compréhension élémentaire relative à la véritable raison pour laquelle il a été conçu dans la corporéité.

Somme toute, au lieu de s’entêter à jouer le tenace archéologue, en fouinant ici et là un paradis dont il serait à priori dément de désigner un emplacement géographique précis, il est préférable et de loin plus utile de concevoir cet endroit attrayant tel un parfait état de conscience, le sentiment divin de bien-être, de santé et de bonheur dont l’homme devait se repaître mentalement et auquel s’identifier indéfiniment.

Ainsi, tout comme plusieurs locutions préposées dans certains autres textes sacrés, en guise d’allégories ou de métaphores, et qui sont souvent employées improprement ou à dessein, l’expression « perdre le paradis » s’inscrit tout autant dans une démarche essentiellement spirituelle et psychologique, où l’homme, face à la responsabilité d’actualiser son pouvoir créateur, se retrouvait, à l’issue de cette première expérience, désappointé par le fait d’essuyer un cuisant échec là où il était censé se montrer prééminent. Et donc, dans ce cas précis, certaines autres tournures grammaticales comme « faire fausse route », « s’égarer » ou « se méprendre » auraient été tout autant superposables.

Cependant, il faut souligner au rouge que même face à la déception la plus lamentable, l’homme demeure encore l’heureux détenteur de sa volonté et de son pouvoir de choisir. Autrement dit, c’est à lui qu’il revient, aujourd’hui comme alors, la prérogative de décider de la suite des événements. C’est à lui, et à personne d’autre, qu’il incombe le privilège de « retrouver », c’est-à-dire de concevoir ici et maintenant le parfait paradis dont il rêve de tout temps la matérialisation.

 

Emmanuel Louissaint, Msc.M., Psychothérapeute, Métaphysicien, Spécialiste du Développement Personnel

Doctorant en Métaphysique Appliquée à l’IIMA